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Livre blanc canadien de la vision 2020

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En ce début de 2020, une année symbolique pour les personnes atteintes d’une déficience visuelle, il est clair que l’ophtalmologie et les soins de santé visuelle canadiens sont au cœur d’une transformation mondiale. Après des décennies de recherche fondamentale, des approches novatrices en matière de thérapie génique, de thérapie à base de cellules souches, de médicaments et dans d’autres domaines mènent à des découvertes majeures et, dans certains cas, à des traitements viables de maladies oculaires.

À ce titre, il ne faut pas sous-estimer l’effet de Luxturna, une thérapie génique approuvée en 2019 par la FDA. Il s’agit de la première thérapie génique contre la cécité mise en marché qui constitue une véritable cure contre l’amaurose congénitale de Leber (ACL). De plus, de nouvelles variantes de médicaments viennent redéfinir la norme en matière de soins; des technologies révolutionnaires comme Argus ou la chirurgie micro-invasive du glaucome (CMIG), dont nous parlerons plus loin, offrent des solutions qui changent la vie; et la recherche axée sur le patient trace une nouvelle manière de faire, à savoir que la priorité est donnée aux besoins et aux points de vue des patientes et patients.

Nous appuyant sur les réponses à un sondage données, entre autres, par des patientes et patients canadiens, du personnel soignant, des chercheuses et chercheurs, des scientifiques, des travailleuses et travailleurs de la santé et des décisionnaires, nous profitons ici de l’année emblématique qu’est 2020 pour aborder les principales avancées et les grands défis dans la recherche sur les troubles de la vision, et pour examiner ce que ces avancées et ces défis représentent pour les Canadiennes et Canadiens qui ont une maladie oculaire. Nous imaginons également ce que les prochaines années et les prochaines décennies réservent à notre stimulante discipline en évolution constante.

Perspectives 2020 : principaux développements dans la recherche en la santé de la vision

Luxturna est sans doute l’illustration la plus connue de l’importance et du succès de la thérapie génique en ophtalmologie, mais le traitement s’inscrit dans un ensemble plus vaste d’avancées incroyables réalisées en génétique oculaire au cours des dernières années, comme en témoignent les nombreux essais cliniques de thérapie génique en cours au Canada et ailleurs dans le monde. Plusieurs thérapies, dont Luxturna, suivent le modèle « classique » de thérapie génique. Elles consistent à utiliser un vecteur, généralement un virus, pour introduire une copie fonctionnelle d’un gène afin de restaurer certaines fonctions affectées par une mutation génétique. D’autres thérapies consistent plutôt à éditer les gènes qu’à en introduire de nouveaux.

Une technique fort déterminante est au centre des efforts en ce sens. Appelée « CRISPR-Cas9 », elle s’inspire d’un mécanisme présent dans la nature selon lequel des bactéries identifient, puis éditent l’ADN de virus envahissants. Au Canada et ailleurs, des scientifiques utilisent maintenant CRISPR pour éditer des gènes avec une très grande précision, et ce n’est sans doute qu’une question de temps avant que nous puissions en voir des applications cliniques en ophtalmologie. Plus récemment, une approche d’édition ciblée a permis à des chercheurs d’éditer de petites séquences d’ADN et d’obtenir ainsi des résultats encore plus précis. L’œil humain est devenu un champ de recherche de pointe et de choix pour ceux qui utilisent cette technique et d’autres encore[1].

La discipline émergente qu’est l’optogénétique attire également l’attention, à juste titre. Les chercheurs dans cette discipline combinent des méthodes génétiques à la technologie optique pour rendre les cellules sensibles à la lumière. Lors d’essais en laboratoire, ils ont démontré que cette approche pourrait transformer des cellules de la rétine qui sont épargnées par la maladie en une sorte de photorécepteurs, lesquels convertissent la lumière en information destinée au cerveau. Si ces essais menaient à des applications cliniques, celles-ci pourraient avoir des retombées énormes pour les personnes souffrant d’une maladie génétique dégénérative comme la rétinite pigmentaire, qui porte atteinte aux cellules photosensibles et entraîne une perte de vision graduelle[2].

Les chercheurs d’une autre discipline, à savoir l’épigénétique, étudient les facteurs autres que la mutation génétique qui contribuent aux maladies oculaires. Ils se sont notamment penchés sur des facteurs environnementaux et liés à l’âge en cause dans des maladies répandues, comme la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA), la rétinopathie diabétique, le glaucome et les cataractes[3]. Leurs travaux ont démontré qu’il était possible de traiter la perte de vision en modifiant certains aspects de notre phénotype – soit le lien entre nos gênes et l’environnement – plutôt que le code génétique sous-jacent.  

Malgré la forte activité observée en génétique oculaire, les cellules souches suscitent toujours autant d’espoir. Des chercheurs ont en effet réalisé des progrès importants, à savoir transformer des cellules souches en cellules qui sont essentielles pour la vision et que les maladies oculaires détruisent ou affaiblissent, en particulier les photorécepteurs et les cellules de l’épithélium pigmentaire rétinien (EPR) qui les nourrissent et les soutiennent. Même si un travail énorme a été réalisé relativement au remplacement de cellules de l’EPR lors de récents essais cliniques, l’on cherche toujours quelles sont les meilleures méthodes pour introduire des cellules créées in vitro dans l’œil humain et favoriser l’établissement de connexion dans la rétine hôte. Heureusement, des chercheurs travaillent à créer des biomatériaux, des vecteurs et d’autres mécanismes qui agiraient comme tels, ainsi que des systèmes biologiques qui pourraient « annuler » à distance les effets indésirables une fois les cellules introduites dans l’hôte[4]

Or, des préoccupations d’ordre éthique quant à l’utilisation de cellules souches ont freiné les travaux. Si des débats ont toujours lieu, la viabilité démontrée des cellules souches pluripotentes induites (CSPI) en a quelque peu atténué la vigueur. Dérivées de cellules adultes vivantes, provenant généralement de la peau, les CSPI suscitent de grands espoirs en médecine régénérative : elles pourraient fournir une quantité quasi illimitée de cellules destinées à diverses thérapies et ainsi donner à des adultes la possibilité d’utiliser leurs propres cellules lors des interventions. Des chercheurs explorent déjà des méthodes qui permettraient de recueillir et de conserver des CSPI à des fins thérapeutiques et pour mener des études scientifiques, l’idée étant de constituer de vastes « banques » de cellules obtenues de manière éthique[5]. Si les essais cliniques avancés permettent de confirmer que ce type de cellules peut servir dans le traitement de maladies oculaires, héréditaires ou autres, il ne fait aucun doute que les patientes et patients pourraient en profiter.

Des acteurs importants du secteur pharmaceutique et de la biotechnologie misent sur la génétique oculaire et les cellules souches, mais les investisseurs s’intéressent aussi beaucoup à différents appareils technologiques. Appelée « œil bionique » ou Argus, la prothèse rétinienne est perfectionnée chaque année, et des appareils portables comme l’appareil eSight, conçu au Canada, aident déjà des personnes atteintes de certaines formes de perte de vision à mieux voir. En ce qui concerne le glaucome, une nouvelle gamme de procédures et d’appareils, à savoir la chirurgie micro-invasive du glaucome (CMIG), ont été adoptés dans certains cas. Et même si la CMIG demeure encore peu utilisée au Canada, il s’agit néanmoins d’un marché prometteur pour les appareils et les techniques de chirurgie destinés au traitement des maladies oculaires.

De nouvelles méthodes et techniques de diagnostic ont aussi un brillant avenir, les percées à ce chapitre ayant été spectaculaires au cours des dernières années. Trouver de nouvelles manières de traiter la perte de vision et la cécité est capital pour l’avenir de l’ophtalmologie, mais trouver de nouvelles façons de détecter les maladies l’est tout autant. De fait, si une maladie est diagnostiquée assez tôt, des mesures préventives pourront être mises en place, de sorte qu’un traitement pourrait ne pas être nécessaire. C’est le cas notamment pour la DMLA qui, si elle détectée dans sa forme sèche, peut être surveillée de près et contrôlée à l’aide de vitamines et de changements au mode de vie.

Dans ce contexte, l’importance des examens de la vue de routine ne se dément pas au Canada ou ailleurs[6]. S’ils ne sont en rien spectaculaires, ces examens constituent tout de même un aspect essentiel de la gestion de la santé de la vision. Ainsi, ils devraient être couverts le plus possible par les régimes publics, en particulier pour les populations à risque. Parmi ces populations, il y a bien sûr nos personnes âgées au Canada, mais des études montrent que les jeunes enfants devraient eux aussi être suivis de près pour que d’éventuelles maladies congénitales soient détectées rapidement et traitées le plus tôt possible[7]. La prestation en collaboration de services de soins de santé, la réduction et la centralisation des listes d’attente donnant accès à des spécialistes, l’utilisation d’outils d’apprentissage en ligne et d’autres innovations pourraient toutes permettre de diagnostiquer mieux et plus rapidement les maladies oculaires.

Le diagnostic est aussi une affaire de calcul. Des algorithmes avancés et l’apprentissage automatique pourraient donc devenir des outils efficaces de diagnostic précoce. À titre d’exemple, des chercheurs du Canada et d’ailleurs travaillent à développer des programmes informatiques complexes qui peuvent examiner rapidement des images du fond de l’œil pour distinguer les yeux sains des yeux malades. Généralement, une telle intervention est douloureuse et doit être effectuée par un spécialiste expérimenté, mais des algorithmes permettent d’accélérer l’intervention. La charge de travail des cliniciens s’en trouve allégée et les diagnostics sont établis plus rapidement et sont plus précis[8]. Ces innovations et d’autres en développement de logiciels – qu’on voit souvent comme une forme d’intelligence artificielle – pourraient changer complètement l’univers du diagnostic. 

La science translationnelle, une discipline en vogue des sciences de la santé, s’entend des efforts pour transformer en traitements et en cures les apprentissages faits en laboratoire. Cette idée de transposition est notamment très présente à la fois dans la thérapie génique et dans la thérapie cellulaire, les deux ouvrant la voie à de nouvelles formes de médecine et d’intervention. Les membres de la communauté scientifique, et les ophtalmologistes en particulier, s’entendent pour dire qu’il ne faut pas pour autant délaisser la science fondamentale. Celle-ci nous explique en effet les différentes fonctions du corps et nous indique par exemple comment les cellules interagissent, ou comment des gènes transmettent de l’information aux protéines qui effectuent des tâches essentielles. La recherche fondamentale et d’autres recherches sont à la base de la science translationnelle et de bien d’autres technologies, comme CRISPR. Si nous l’ignorons ou l’abandonnons maintenant, nous limiterons la portée future de la recherche translationnelle. La meilleure solution est de trouver l’équilibre entre la science translationnelle et la recherche fondamentale, de manière à tirer avantage des possibilités qui se présentent aujourd’hui, tout en jetant les bases de la science et des traitements de demain. 

Institutions et infrastructure : appuyer la recherche en santé de la vision au Canada

Il existe un large consensus parmi les patients et les chercheurs : le Canada doit financer et mettre sur pied davantage d’essais cliniques sur des traitements contre les maladies oculaires. Selon une étude pivot de 2009, notre pays accuse un retard important par rapport aux États-Unis au chapitre des essais cliniques[9] et, depuis, de nombreux pays européens nous ont surpassés. Si de nombreux essais comptent sur le recrutement mondial, il ne fait aucun doute que les patientes et patients canadiens bénéficieraient d’une infrastructure d’essais cliniques solide et active, à la maison. Ajoutons que les essais cliniques menés au Canada font partie intégrante de la recherche au pays : étendre notre capacité à mener des essais cliniques profitera à nos programmes de recherche nationaux en ophtalmologie et dans d’autres disciplines. Des organismes comme Clinical Trials Ontario sont des partenaires importants lorsqu’il s’agit d’attirer des sociétés pour qu’elles mènent des essais ici. Pour garantir que les efforts en ce sens sont efficaces et concertés, il faut l’appui d’intervenants des secteurs public et privé.

Bien sûr, la question du financement est au centre des discussions entourant les essais cliniques, mais elle touche bien d’autres secteurs. Le financement public consacré à la recherche scientifique est en baisse depuis plusieurs années; les quatre principaux organismes de recherche du Canada n’ont d’ailleurs rien obtenu dans le budget fédéral de 2019. Selon le Conseil consultatif pour l’examen du soutien fédéral à la recherche fondamentale en 2017, la situation du Canada est unique en ceci que le financement fédéral consacré à la recherche scientifique représente moins de 25 % de l’ensemble des fonds destinés à la recherche, ce qui est bien en deçà de la moyenne dans les autres pays membres de l’OCDE[10]. Des scientifiques canadiens du domaine des soins de la vue sont parvenus à exceller malgré les mesures d’austérité et les sévères contraintes financières, et leurs travaux ont mené à des découvertes incroyables. Nombre d’entre eux ont d’ailleurs exprimé leur inquiétude, soulignant que le sous-financement chronique de grands instituts de recherche et d’établissements universitaires pourrait dissuader de nouveaux talents de choisir cette branche. 

À l’évidence, dans un tel contexte, le sous-financement a touché l’ensemble des chercheurs et des praticiens en santé oculaire au Canada, et il en résulte des lacunes dans les soins. Voilà qui a un impact profond sur l’accès aux soins et aux traitements des personnes qui ont subi une perte de vision, en particulier dans les zones rurales, où il n’y a pas suffisamment d’ophtalmologistes et d’optométristes. Il importe que nous mettions en place des mesures pour garantir que l’effectif actuel réponde bien aux besoins des patientes et patients canadiens, et qu’il augmente conformément au nombre toujours plus grand de Canadiennes et Canadiens touchés par une perte de vision.

Pour que le Canada puisse former du personnel en ce sens, il est important de bien connaître l’ampleur du problème. Malheureusement, si des recherches canadiennes s’appuient sur des études menées à l’étranger, peu de travaux, voire aucuns travaux, visant à cibler et à étudier les populations canadiennes souffrant d’une perte de vision ont été publiés ici. Cela comprend les gens aux prises avec des maladies moins connues, habituellement héréditaires, comme la rétinite pigmentaire, l’amaurose congénitale de Leber, la maladie de Stargardt, le syndrome d’Usher, le rétinoschisis lié à l’X, le syndrome de Bardet-Biedl, la choroïdérémie et bien d’autres encore. Si le Canada parvient à intégrer de nouvelles thérapies géniques actuellement en développement dans le réseau de soins de santé publique, les personnes qui souffrent d’une maladie héréditaire seront les premières à en bénéficier. Pour faciliter cette intégration, nous devons en savoir plus sur les populations concernées; autrement, il sera difficile d’élaborer des politiques et des cadres à l’appui de la médecine oculaire de demain.

Ainsi, des études nouvelles et plus vastes doivent être faites pour cibler et mieux comprendre la communauté des gens ayant subi une perte de vision, et pour étayer les décisions en matière de financement et de recherche. Il faudra également mener des recherches socioéconomiques et des recherches sur le « fardeau de la maladie » afin de comprendre l’impact de la perte de vision sur l’économie et la main-d’œuvre canadiennes, de même que pour calculer, entre autres, les coûts des traitements et les heures de travail perdues par les patientes, les patients et le personnel soignant. Il est tout aussi important d’obtenir de l’information au sujet des conséquences de la perte de vision sur la vie des Canadiennes et Canadiens. Les travaux sur le sujet jetteront de la lumière sur le vécu des gens qui profitent le plus des nouveaux traitements et des innovations médicales. Ils témoigneront également du caractère unique de la démographie et de la géographie du Canada, par exemple des défis particuliers que doivent relever les personnes habitant en région éloignée ou en zone rurale. Ne pouvant pas compter sur des recherches adéquates, nous ne sommes pas en mesure de voir toute l’étendue des répercussions qu’ont les maladies oculaires et la perte de vision, notamment le fardeau que vivent les patientes et patients au quotidien et dans leur vie personnelle et, plus largement, les conséquences institutionnelles, culturelles, économiques et sociales qui en découlent.

L’Enquête canadienne sur l’incapacité nous donne une compréhension limitée de certains des problèmes que vivent les personnes ayant un handicap visuel, en particulier au travail et à l’école. Dans ces circonstances, nous devons nous pencher plus en avant sur les obstacles que doivent surmonter ces gens – discrimination au travail, à l’école et dans la société en général. La technologie a eu des retombées énormes sur les personnes souffrant d’une perte de vision, mais il existe encore peu de recherches qui nous aident à comprendre la nature et la portée de ces retombées, ou encore les meilleures pratiques quant à la mise en place et à l’utilisation de cette technologie. Le braille est largement reconnu comme étant un facteur important de l’alphabétisation des enfants atteints de cécité. Pourtant, il n’existe presque aucune étude sur le braille au Canada. Ce ne sont là que trois exemples où les recherches sur les besoins des personnes souffrant d’une perte de vision sont insuffisantes. La pleine intégration de ces gens à la société ne se fera que si les bailleurs de fonds et les établissements universitaires s’intéressent davantage à ce type de recherches et à d’autres formes de recherches axées sur le patient.

Malgré le tarissement des fonds et le manque d’information sur les populations canadiennes touchées par la perte de vision, les universités, les hôpitaux de recherche et autres centres d’excellence du pays ont tout de même su réaliser des travaux révolutionnaires, établir des collaborations efficaces et produire des résultats en matière de recherche, de pratique clinique, etc. Pour autant, nous devons encore mettre en place un programme de recherche unifié, ainsi qu’un ensemble d’objectifs pour garantir que nous travaillons tous dans le même but, à savoir dresser un portrait plus net des populations souffrant de perte de vision. Aux États-Unis, les National Institutes of Health (NIH) établissent chaque année un programme de recherche qui comporte un volet axé sur la vue. Ils s’appuient en cela sur les travaux du National Eye Institute, l’organisme responsable de la vision. Il en résulte des occasions de répondre aux besoins de la communauté des personnes souffrant de perte de vision et de tirer le maximum des possibilités qu’offrent la recherche et le financement.

Au Canada, les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), le pendant des NIH, investissent des fonds publics dans des projets de recherche nationaux. Les IRSC regroupent 13 instituts, chacun ayant son programme. Même si leurs travaux portent sur une grande variété de catégories et de maladies importantes, la vision ne jouit pas de son propre institut. Le National Eye Institute n’a pas d’homologue au pays. Les priorités en matière de recherche sur la vision sont plutôt réparties entre les instituts, notamment l’Institut du vieillissement et l’Institut de génétique. Par ailleurs, les comités d’évaluation par les pairs des IRSC évaluent et recommandent des propositions touchant de nombreux domaines, mais aucun ne se consacre exclusivement à l’ophtalmologie ou la recherche oculaire. Cette lacune pourrait entraîner le sous-financement des projets de recherche sur la vision, projets dont nous savons qu’ils sont essentiels pour assurer l’avenir de l’ophtalmologie et des soins de la vue au Canada. En fait, ce scénario est peut-être déjà en train de se produire : selon une étude bien connue, les organismes faisant de la recherche oculaire se sont partagé 37,5 millions de dollars en 2009. C’est bien peu compte tenu de l’importance de la question et des coûts des traitements, surtout si l’on compare cette somme aux 4,4 milliards de dollars dont est privée l’économie du fait d’une perte de productivité causée par la perte de vision[11].

S’il n’existe pas d’initiatives de financement nationales en santé visuelle, des initiatives provinciales sont lancées partout au pays. Elles appuient et favorisent la recherche portant sur des questions capitales. Au Québec, par exemple, le Réseau de recherche en santé de la vision (RRSV), qui est financé par le Fonds de la recherche en santé du Québec (FRQS), un organisme provincial, a pour mission de favoriser, par le financement, l’établissement de collaborations nationales et internationales ainsi que l’accès à une infrastructure spécialisée et à des banques de tissus. Le RRSV vise aussi à favoriser la formation de la prochaine génération de chercheurs en santé visuelle en finançant des bourses et des prix. De telles initiatives, qui visent à accroître la capacité de recherche, sont essentielles pour atteindre l’objectif, à savoir améliorer les soins et élaborer des traitements pour les personnes souffrant d’une déficience visuelle.

On compte actuellement 16 départements d’ophtalmologie et deux écoles d’optométrie dans les universités canadiennes. Ajoutons divers centres d’excellence dans des hôpitaux et dans le secteur privé dont les travaux portent en partie ou en totalité sur la vision. Certes, les instituts sont des moteurs de la recherche sur la vision et des services cliniques, mais il existe encore des occasions inexploitées de collaboration et de partage de ressources. La mise sur pied de centres d’excellence spécialisés qui financeraient la recherche et serviraient les patientes et patients pourrait conduire à des progrès énormes. Les personnes atteintes d’une maladie héréditaire ou rare en bénéficieraient tout particulièrement, car pour le moment, les ressources étant dirigées vers les maladies les plus courantes, ils ne jouissent pas de tous les services requis. La situation des tests génétiques en témoigne d’ailleurs : les personnes souffrant d’une maladie rétinienne héréditaire sont souvent exclues des essais publics en raison d’une pénurie de conseillers en génétique et du manque d’installations d’essais.

De nouveaux centres d’excellence et des établissements de recherche qui se spécialisent dans la santé visuelle pourraient attirer les bailleurs de fonds, faciliter le réseautage parmi les chercheurs et les cliniciens, et agir comme carrefours où les patientes et patients auraient accès à des spécialistes, notamment des conseillers en génétique, des intervenants-pivots et des experts de la basse vision. Dans bien des cas, les ressources en santé visuelle dont nous avons besoin sont déjà à notre disposition, mais ce n’est pas toujours le cas, du fait de problèmes de réseautage et d’intégration, et de l’absence du soutien gouvernemental.

Extrapolations : l’avenir de la recherche en santé de la vision

Malgré les défis à relever à maints égards – financement, coordination, infrastructure –, de nombreuses personnes au sein de la communauté se montrent optimistes quant à l’avenir de la recherche oculaire au Canada et ailleurs. Dans des commentaires recueillis lors de la préparation du présent document, des chercheurs et des patients ont parlé du fait que d’ici cinq ans, des avancées auront été réalisées au chapitre des essais cliniques, que de nouvelles recherches auront été menées, que de nouveaux équipements seront développés et que l’accès sera étendu et intégré. Se projetant sur un horizon de 25 ans, ils ont indiqué que des percées comme la médecine personnalisée, l’utilisation de cellules souches, la transplantation de tissus et le recours accru à la cartographie génétique pourraient se concrétiser, plusieurs personnes allant même jusqu’à prédire que la cécité serait enrayée. Il suffit de regarder la liste des réalisations dans le domaine de la santé oculaire et la prestation de soins au cours des dernières décennies pour comprendre l’optimisme de nombreux Canadiens et Canadiennes quant à l’avenir. D’un côté, les commentaires susmentionnés et d’autres sont en quelque sorte des extrapolations de ce qui attend la recherche de pointe et novatrice, qui pourrait conduire à des traitements et à des cures.

De l’autre, les projections les plus optimistes sont contrebalancées par un scepticisme perceptible dans d’autres commentaires exaspérés. Au sujet de la promesse d’un traitement contre la rétinite pigmentaire, un répondant a d’ailleurs dit : « J’entends « d’ici cinq ans » depuis trop longtemps. » D’autres membres de la communauté ont aussi exprimé des réserves, rappelant qu’il est encore loin de la coupe aux lèvres, en particulier pour les personnes souffrant d’une maladie génétique. D’une certaine façon, ce sont là aussi des projections, qui s’appuient en l’espèce sur les obstacles et les écueils qui jalonnent tout grand projet scientifique. Cette prudence quant à l’avenir de la discipline est aussi un rappel que les progrès scientifiques ne sont pas le fruit du hasard. Ils sont le fruit d’un effort collectif qui doit être encouragé et qui ne donnera des résultats que s’il est soutenu par la société et par l’économie. À l’aube d’une nouvelle décennie, le moment est bien choisi pour réfléchir aux efforts que nous devrons déployer pour mettre fin à la cécité et à la perte de vision. Il importe donc de savoir ce qui nous attend et de comprendre qu’il faudra élaborer des politiques, des outils et des cadres pour appuyer les progrès énormes de la recherche oculaire, progrès dont nous sommes déjà témoins.


[1] ALI, R. « Ocular gene therapy: introduction to the special issue », Gene Therapy, no°19, p. 119–120 (2012) doi :10.1038/gt.2011.189

[2] HENRIKSEN, B.S., Marc, R.E., Bernstein, P.S. « Optogenetics for retinal disorders », Journal of Ophthalmic and Vision Research, vol. 9, no 3, p. 374-382 (2014) doi :10.4103/2008-322X.143379

[3] DESMETTRE, T.J. « Epigenetics in age-related macular degeneration (AMD) », Journal Français d’Ophtalmologie, vol. 41, no 9, 407-415 (2018), doi :10.1016/j.jfo.2018.09.001

[4] LIANG, Q., Monetti, C., Shutova, M.V. et al. « Linking a cell-division gene and a suicide gene to define and improve cell therapy safety », Nature, no 563, p. 701–704 (2018) doi :10.1038/s41586-018-0733-7

[5] HOLMQVIST, S., Lehtonen, Š., Chumarina, M. et al. « Creation of a library of induced pluripotent stem cells from Parkinsonian patients », npj Parkinson’s Disease, 2, art. no 16009 (2016), doi :10.1038/npjparkd.2016.9

[6]JEN, Y., Buys, Y., Xiong, J. et al. « Government-insured routine eye examinations and prevalence of nonrefractive vision problems among elderly », Journal Canadien d’Ophtalmologie, vol. 48, no 3, p. 167-172 (2013), doi :10.1016/j.jcjo.2013.01.002

[7] MARSHALL, E.C., Meetz, R.E., Harmon, L.L. « Through our children’s eyes—the public health impact of the vision screening requirements for Indiana school children », Journal of American Optometric Association, vol. 81, no 2, p. 71-82 (2010), doi.org/10.1016/j.optm.2009.04.099

[8] WEI TING, D.S., Pasquale, L.R., Peng, L. et al. « Artificial intelligence and deep learning in ophthalmology », British Journal of Ophthalmology, vol. 103, no 2, p. 167-175 (2019), doi : 10.1136/bjophthalmol-2018-313173

[9]SILVERSIDES, A. « Clinical trials: the muddled Canadian landscape », CMAJ, vol. 180, no 1, p. 20-22 (2009) doi.org/10.1503/cmaj.081897

[10] http://www.examenscience.ca/eic/site/059.nsf/vwapj/ExecSummary_April2017-FR.pdf/$file/ExecSummary_April2017-FR.pdf

[11] CRUESS, A.F., Gordon, K.D., Bellan, L. et al. « The Cost of Vision Loss in Canada 2. Results. », Journal Canadien d’Ophtalmologie, vol. 46, no 4, p. 315-318, doi : 10.1016/j.jcjo.2011.06.006

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